Les examens gynécologiques non consentis sont-ils des viols?
Les récits de violences gynécologiques subies au cours de rendez-vous médicaux se multiplient, pour certains suivis de plaintes. S’engage désormais un débat juridique sur la qualification de ces actes.
par Cassandre Leray publié le 8 août 2022 à 19h10
Pénétration par un spéculum sans avoir été prévenue, toucher vaginal non consenti, insertion d’une sonde pour une échographie avant toute explication : pour les victimes, leurs avocats et les associations, ces actes sont clairement des viols. Mais pour le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, il ne peut en être ainsi. Dans un communiqué, il s’est dit très inquiet «de l’usage actuel du mot viol pour qualifier des examens médicaux, notamment gynécologiques, réalisés sans la moindre intention sexuelle». Mais que dit la loi sur les examens gynécologiques avec pénétration non consentie?D’un point de vue strictement juridique, l’article 222-23 du code pénal stipule que «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol». Un flou subsiste néanmoins concernant la définition du code pénal : la pénétration doit-elle obligatoirement être réalisée par un organe sexuel pour être qualifiée de viol ? Sur le site officiel de l’administration française Service-public.fr, on peut lire que «tout acte de pénétration sexuelle est visé : vaginal, anal ou buccal. La pénétration peut être effectuée par le sexe de l’auteur du viol, par ses doigts ou par un objet». De nombreux avocats et juristes s’accordent ainsi à dire que la définition légale permet de considérer comme des viols certains examens gynécologiques impliquant une pénétration: insertion de doigts, d’un spéculum ou d’une sonde dans le vagin ou dans l’anus d’une patiente à des fins médicales. «Consentement libre et éclairé» Ces examens, «s’ils sont effectués par violence, contrainte, menace ou surprise, sont objectivement des viols», estime l’avocate My-Kim Yang-Paya, qui représente 17 patientes ayant porté plainte au pénal contre le chirurgien gynécologue Emile Daraï pour «viol» ou «violences». Reste le plus compliqué : caractériser cette violence, contrainte, menace ou surprise dans le cadre d’un examen gynécologique. La loi Kouchner du 4 mars 2002 établit clairement les droits des patientes et patients. Selon le code de la santé publique, «aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment». Seule dérogation possible : l’urgence médicale, si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté. Ce consentement ne peut être formulé explicitement sans uneinformation fournie par le soignant : «Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose.» Plusieurs juristes interrogés par Libération estiment que, s’il n’y a eu ni information ni consentement avant un examen gynécologique avec pénétration, on peut considérer que celle-ci a été commise par «surprise», et qu’elle est donc qualifiable de viol.Une analyse juridique à laquelle n’adhèrent pas certains avocats comme Alain Jakubowicz, qui représente le Dr Emile Daraï. Les patientes «savent très bien pourquoi elles vont chez le gynécologue. Quand le médecin invite à retirer ses vêtements et demande à mettre les pieds dans les étriers, on ne peut pas parler de surprise», explique-t-il. Avocat spécialiste du droit de la santé et maître de conférences à l’université, Benjamin Pitcho réfute cette argumentation : «On ne peut pas considérer qu’à partir du moment où il y a entrée dans un cabinet de gynécologie, il y a consentement. La patiente doit être informée et exprimer ou non son consentement avant tout examen, c’est une obligation incontournable.»«Intention sexuelle» Quid enfin de «l’intention» nécessaire pour qualifier une infraction ? La jurisprudence oscille entre une interprétation objective du viol, quel que soit le contexte dans lequel il a lieu dès lors qu’il y a pénétration non consentie, et une conception subjective, déterminée par le contexte. Une partie de la communauté médicale soutient qu’un examen gynécologique ne peut pas être qualifié de viol, dans la mesure où il s’agit d’un acte médical sans connotation sexuelle. Pour l’avocat d’Emile Daraï, il est «absurde de parler de viol» au vu du contexte médical : «Le geste peut être réalisé ou perçu comme mal exécuté ou violent, mais il n’y a évidemment pas d’intention sexuelle.»S’il estime que «la connotation sexuelle n’est pas toujours nécessaire pour constituer le viol» d’un point de vue juridique, Benjamin Pitcho reconnaît qu’à ce stade, «la plupart des décisions de justice s’attachent à ce qu’il y ait un cadre sexualisant» pour qualifier un viol. Une situation qui pourrait être amenée à «évoluer», selon lui. «Au niveau pénal, les plaintes n’aboutissent pas. L’application de la jurisprudence n’est pas du côté des victimes de violences gynécologiques pour l’instant», regrette Anaïs Defosse, avocate spécialisée en droit de la santé. Les patientes peuvent déposer une plainte auprès de l’ordre des médecins mais là encore, «les sanctions déontologiques sont plutôt de l’ordre de la petite tape sur les doigts», selon l’experte. Pour autant, Anaïs Defosse estime qu’il n’est pas question de créer une infraction spécifique de «viol gynécologique» : «On ne va pas faire des sous-catégories. Si c’est un viol, il doit être considéré comme tel.» Les textes de loi existent mais sont trop peu appliqués. «Si on les respectait, ce serait suffisant, insiste Benjamin Pitcho. Le code de la santé publique dit bien que pour pouvoir réaliser un acte, il faut le consentement. On ne devrait même pas se poser la question.» Au-delà du débat juridique, des questionnements sociétaux entrent en ligne de compte. «Le viol, ce n’est pas seulement un inconnu dans un parking la nuit», insiste Anaïs Defosse. Pour l’avocate des victimes du Dr Daraï, My-Kim YangPaya, «le grand public a une vision très réductrice du viol et remet en question la parole des femmes qui s’expriment sur les violences gynécologiques».